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LE SENS MORAL DE LA SOUFFRANCE DANS LE QUATRIEME ORACLE DU SERVITEUR SOUFFRANT D'ISAÏE ET SA RELECTURE CHRISTIQUE POSTERIEURE

Publié le par Fr Alexis B. MENSAH

RESUME DU MEMOIRE DE FIN DU PREMIER CYCLE EN THEOLOGIE

 

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L’expérience de la souffrance des hommes, telle qu’elle est vécue dans nos sociétés aujourd’hui, nécessite qu’on lui accorde un tant soit peu, d’intérêt dans nos recherches pour évaluer non seulement son impact sur la foi et la spiritualité des fidèles chrétiens mais aussi pour rechercher l’interprétation et la morale que les Ecritures Saintes dévoilent des diverses expériences des serviteurs de Dieu. Face aux problèmes de souffrance qui minent nos sociétés (pauvreté, maladie, décès…), nombres de chrétiens en désarroi se sentent obligés de recourir à des pratiques non-chrétiennes et se laisse attirer par des sectes qui leurs proposent le bonheur immédiat. D’autres par contre vont jusqu’à se donner la mort en désespoir de cause ou réclamer qu’on les euthanasie. Face donc à tous ces problèmes, notre objectif en se penchant sur la thématique de la souffrance est de tirer du quatrième oracle du Serviteur souffrant des enseignements pour guider la vie et venir en aide aux souffrants de tout genre. Pour ce faire, une première démarche dans cette recherche a consisté à montrer le lien de notre péricope d’Is52, 13-53, 12 avec le thème de la souffrance et dégager ensuite une théologie du texte qui nous a aidé à faire ressortir dans la dernière partie les principes moraux applicables au comportement de l’homme. Ceci a imposé une démarche intermédiaire qui a été d’approfondir les notions de souffrance et de mal qui sont intimement liés à notre problématique.

L’analyse d’Is 52, 13-53, 12, nous a conduit à la conclusion que, le Serviteur souffrant dont il s’agit dans l’oracle est vraisemblablement, selon les termes de Kovalsky, « un individu unique en son genre et irréductible à une collectivité[1] » ; il est une personnalité corporative qui vient comme représentant de l’humanité. Les auteurs du Nouveau Testament vont vite faire le lien de cette personnalité avec le Christ Jésus, de même que le feront après les pères de l’Eglise. Nous retrouvons aussi cette même certitude chez de nombreux théologiens, principalement chez saint Thomas d’Aquin.

A la fin de l’étude exégétique de notre péricope, quelques points théologiques semblaient se dégager en lien avec la souffrance du serviteur : l’idée d’expiation, le silence et le pardon, l’humilité et la confiance du Serviteur. Cette souffrance mise en lien avec la problématique de la souffrance chez Isaïe et dans le Nouveau Testament, va conduire à trois domaines d’application morale.

D’abord la souffrance du Serviteur pourra être vue comme donnant sens à la souffrance personnelle. Ainsi l’identification du Serviteur à Jésus-Christ montre que le caractère fondamental de la suite du Christ est de « porter sa croix » et de le suivre (Mc 8, 34). Le silence du Serviteur et l’analogie de l’agneau montrent qu’il est un serviteur qui préfère souffrir que de faire souffrir d’autres[2]. Ce qui donne donc sens à la souffrance du Christ, c’est la relation que cette souffrance entretient avec les personnes : « la relation de service à l’égard de Dieu et de solidarité à l’égard des hommes[3] ». La souffrance libre du Serviteur et donc la souffrance de ses disciples a donc pour sens de montrer la justice aimante et miséricordieuse de Dieu qui contredit l’orgueil de l’homme à l’autojustification. Elle conduit au salut.

Ensuite la souffrance comme croix à porter à la suite du Christ est source de courage. La souffrance vécue dans la foi et l’abandon à Dieu atteste qu’on n’a plus le sentiment d’être livré à un destin hostile ou à « un mécanisme indifférent qui nous broie sans que nous puissions rien[4] ». Mais nous sommes assurés que l’Amour de Dieu  nous enveloppe dans ces moments de faiblesse. En se faisant, elle conduit l’homme à trouver en lui des forces inattendues qui manifeste une grandeur d’âme et une vaillance qui l’étonne lui-même.

Enfin, la croix est le lieu de révélation et de la transfiguration de la souffrance. En témoignant du Christ qui a surmonté la douleur et la souffrance, on rejoint le monde de tous ceux qui souffrent, de tous ceux qui sont défigurés et on leur offre la consolation d’un cœur et d’un visage ami. C’est ainsi qu’on prendra part à l’œuvre de transfiguration du monde. La transfiguration aura pour sens, en nous disant d’avance ce que sera Jésus, de nous dévoiler notre propre achèvement en Lui.

A la fin de ce parcourt, il nous a paru important de dégager quelques pistes pastorales pour le déploiement de cette éthique de la souffrance. D’abord, nous avons relevé que le pardon, l’amour, la fidélité, la compassion qui caractérise la souffrance du Serviteur sont caractéristiques de la justice divine. En prenant l’exemple de Jésus qui fait passer le pardon avant la punition, les disciples du Christ devront incarner la compassion, l’amour et la fidélité du Christ. Ensuite, la notion de substitution fait intervenir une autre piste : l’option pour la responsabilité qui est un appel à la solidarité dans les moments de souffrances. Un autre engagement est aussi l’option préférentielle pour les pauvres, qui exige un engagement à lutter contre toute souffrance vincible, notamment celle créée par la pauvreté. L’un des domaines majeurs de l’application de cette éthique de la souffrance est l’accompagnement des malades incurables et ceux en fin de vie. La souffrance du Serviteur et celle de Jésus-Christ nous enseigne que pour aider ceux qui souffrent, l’essentiel n’est pas dans le soulagement de la douleur mais plutôt dans cette force, cette grâce, ce recourt spirituel qui donne le courage nécessaire pour consacrer sa vie et son effort à quelque chose de plus précieux. Le recourt spirituel, c’est l’amour de Dieu vécu dans la foi et par la grâce du Christ. Enfin la dernière application est purement spirituelle et postule qu’un climat de vie, fait d’amour, de joie et de prière est un bon remède contre les souffrances de ce monde. Ainsi chaque chrétien qui souffre « avec le Christ et dans le Christ, souffre comme Lui pour le bien de toute l’Eglise. La souffrance devient par là l’expression de notre charité envers nos frères.

En conclusion, la souffrance du Serviteur s’est révélée une réalité sociale inextricable ; mais l’oracle du Serviteur souffrant d’Isaïe, nous a donné la clé de lecture pour la déchiffrer à la lumière de l’expérience du Christ. Ainsi, en identifiant Jésus au Serviteur souffrant et par là, à tous les persécutés, à tous les souffrants de la terre, il montre que la racine de la lutte contre la souffrance doit se bâtir sur la foi en Dieu et en la vie.

 

Par Fr Alexis B. MENSAH, ofm

 

[1]Thomas KOWALSKY, Les oracles du Serviteur souffrant, éd. Parole et Silence, 2003, p.48.

 

[2] Wilfried OKAMBAWA, Le pardon une folie libératrice ; UCAO, 2008,, p.178.

[3]Michel GOURGUE, « Le Mal, la souffrance et la mort à la lumière de l’expérience de Jésus » in Cahier Evangile n°30, p. 60.

[4] Yves DE MONTCHEUIL, Leçons sur le CHRIST, Paris, éd. de l’EPI, 1949, p.139.

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